AllSinnersSerie : retour d’expérience d’écritures en temps réel

Sur mon billet précédent, je vous annonçais la série über interactive AllSinnersSerie de Jeff Balek, projet de « Fiction transmédia et collaborative » en temps réel sur le réseau social Twitter.

Je me suis inscrite pour participer au projet en mon nom, je pensais y participer en tant que l’auteur Chris Simon, mais je ne sais pas comment ç’est arrivé, au deuxième jour deux personnages me sont apparus : un très jeune enfant accompagné de sa gouvernante américaine. C’est donc ensemble que nous avons traversé la tempête s’abattant sur Yumington entre le 28 novembre et le 2 décembre 2012. Je retrace dans ce billet mon experience et publie le texte qui en a résulté (dans lequel j’ai inséré mes intéractions avec d’autres Twitt’actrices/acteurs du projet).

En chiffres ma participation c’est : 80 tweets (dont la majorité sur le dernier jour), 4 intéractions, 3 retweets.

En terme d’expérience : je constate que j’ai mis du temps à démarrer, 1 tweet par jour dans les deux premiers jours, je n’ai pas lu toutes les consignes dès le début sur le site de AllSinnersSerie, ce qui fait que je n’ai pas eu toutes les informations en main dès le départ. Exemple : l’existence du Bar pour rencontrer les autres twitt’actrices et acteurs. J’ai navigué et me suis emparée de l’univers de Jeff Balek à l’intuition et chaotiquement, mais le contexte même du scénario n’était-il pas un chaos !?

Qu’est-ce que ça m’a apporté : j’écris rarement au kilomètre si je puis dire. Je réfléchis beaucoup avant d’écrire et mets sur le papier peu de phrases, ce qui explique mon lent démarrage sur AllSinners. Sur les derniers jours, j’ai écrit au kilomètre, je veux dire sans réfléchir pousser par chaque phrase. C’est un exercice que je pratique rarement. J’ai ressenti une impression  de grande liberté et de spontanéité (mais n’allez pas en déduire qu’il n’y a aucune spontanéité dans mes écrits !) J’ai aussi établi une ponctuation adaptée au format twitter (140 signes maximum) afin de gagner des espaces (chaque tweet devant contenir : #AllsinnersSerie #TwitterFiction) et je publie le texte avec cette ponctuation qui me semble lisible. Et j’ai aussi rencontré de nouvelles têtes sur Twitter et ça c’est cool ! 😉

Qu’est-ce que j’aimerais voir améliorer : l’interaction avec les autres twitt’actrices/acteurs de manière à faire se rencontrer nos personnages dans les décors de Yumington, même tenter d’agir sur leurs trajectoires indivituelles. Il m’a paru difficile dans le projet tel quel de le faire. J’ai tenté de retweeter certains récits que je voyais passer, m’en inspirer parfois dans mon propre récit, interagir avec d’autres twitt’acteurs… Je dis bien j’ai tenté !

Bilan : Positif. J’ai trouvé cette forme d’écriture très addictive et proche de la performance. Le dernier jour j’ai fait deux fois 1h30 de suite de récit tweeté. Je me suis prise au jeu. J’ai apprécié l’urgence (5 jours), la necessité de répondre en intègrant les news de Yumington et surtout me retrouver dans l’univers d’un autre auteur. Je crois que le fait que tout se déroule en temps réel a été libérateur pour moi. C’est une autre forme d’écriture, il faut fournir, faire appelle à son imagination, écrire tout ce qui nous vient à l’esprit. C’est une technique d’écriture plus scénaristique que romanesque. Je ne rendrais certainement pas public un premier jet de scénario, mais ce texte  dont  je ne suis pas sûre de la légimité de le publier dans son entier puisque les tweets du récit n’ont pas été conçus pour une forme de permanence, je le montre ici et  j’assume le récit abracadabrant de cette écriture effrenée ! Une deuxième forme de libération !

Série transmedia et collaborative ent temps réel
Série transmedia et collaborative ent temps réel

Jour 1 : 28 novembre 2012

Horreur ? L’écrivain n’aimait pas ce mot Il lui fit horreur et il l’effaça

Jour 2 : 29 novembre 2012

Elle ne sait pas quoi faire de ce colis daté de 1897 C’est lourd, encombrant, comme sa tête Aspiriiiiine!

Jour 3 : 30 novembre 2012

Episode 1

Impossible d’appeler YouPS De rendre le colis La route inondée ressemblait au Mekong Ouvrir Ne pas ouvrir

Elle appela son fils Espérait qu’il ne contenait rien de périssable Un enfant irresponsable devant la loi

-Je sais que ce n’est pas Noël Noël en novembre ! -Il est trop gros -Ouvre, c’est pour toi -J’en veux pas

-C’est pas pour toi Ouvre ! Il lui sourit et tira sur la ficelle qui céda vu son grand âge

Il tomba sur les fesses La boîte se désagrégea, nauséabonde Elle recula protégeant l’enfant -Ferme les yeux !

Episode 2

Je retweete une Twitt’actrice :

30 Nov Marlene@marlene_tissot

Va savoir si la tempête saura nettoyer tout ça. Effacer le passé de chacun. Remettre les choses nues et claires #AllSinners #TwitterFiction

Retweeted by Chris Simon

Qui m’inspire le tweet suivant :

Une vague de 5 mètres de haut remonta la carcasse gigantesque et les emporta Elle, le petit, les débris du colis

Le petit se retrouva happé entre les côtes du dinosaure en décomposition Elle ne lui lâcha pas la main

Une autre vague la propulsa à son tour dans la cage thoracique du mastodonte dont la puanteur s’estompait

Chutes d’eau, torrents, cascades Il était impossible de savoir si le petit pleurait, si elle était blessée

Le petit suffoquait le visage bleui, elle aussi Combien de temps tiendraient-ils ?

Sur la vague Hawaïenne le Dinosaure redressa ses vertèbres dorsales, puis cervicales

L’eau lui redonnait vie La gueule surplombant la vague déferlant Il respirait, pétant le feu !

La cavité de ses orbites se remplissaient d’une crème gélatineuse et laiteuse formant des globes oculaires

Une interaction avec un Twitt’lecteur :

Chris Simon@Qrisimon

La cavité de ses orbites se remplissaient d’une crème gélatineuse et laiteuse formant dees globes oculaires #TwitterFiction #AllSinnersSerie

Details

30 Nov sc△lp@scaalpaa

@Qrisimon #TwitterFiction #AllSinnersSerie je mange, sinon.

Chris Simon@Qrisimon

@scaalpaa tu as quoi au menu ?

Tweet text 30 Nov sc△lp@scaalpaa

@Qrisimon demi canard rôti « old bohemian style » pic.twitter.com/KuB3m35g

Ils viraient au noir Des rétines se dessinaient Le gaillard trouva l’équilibre sur l’arête de la vague

Le dinosaure épris d’un râle d’épuisement respira profondément. L’oxygène chaud lui arriva en pleine tête

Elle imagina une fenêtre ouverte sur la campagne, se reprit et serra le petit contre l’oesophage du monstre

Je retweete un Twitt’acteur :

30 Nov H_X_Lemonnier ‏@H_X_Lemonnier

#AllSinners #twitterfiction http://www.youtube.com/watch?v=6WNrDCRjd7k … Deux hommes qui ne savaient plus. Un démiurge insolent. Un navire dérouté. Une femme jetée.

Retweeted by Chris Simon

Jour 4 : 1er décembre 2012

Épisode 1

Une déflagration à rendre sourd le dinosaure éclate Il tourne la gueule de gauche à droite de droite à …

En réponse à un des tweets(non retrouvé) de @marlene_tissot tiwtt’actrice, qui fait part de l’explosion d’une baie bitrée !

Des bouts de verres éclatés lui forment des crêtes sur l’échine dorsale jusqu’à la queue qu’il agite

Il ne saigne pas Il a hérité d’une trombophilie de sa grande tante dragon

Le petit aspire l’oxygène, revient à lui Il ouvre les yeux Vivant Pooky Vivant tu es Vivants nous sommes

Nous nous embrassons Rions Le dinosaure est pris d’une crise d’éternuements Ça lui secoue les tripes

Jour 5 : 2 décembre 2012

Épisode 1

Elle avait faim Pookie aussi Le vent cessa et le dinosaure s’immobilisa contre des troncs d’arbres empilés

Il se secoua vivement, queue, crête dorsale, pattes, une par une Perdit quelques bouts de verre

Il escalada les troncs et marcha Il tomba nez à nez avec un engin rouge qui roulait dans sa direction

Comme il ne savait pas ce que c’était Il marcha dessus Un autre arriva dans l’autre sens

Il entendit des hurlements et -Un diplodocus Un diplodocus Il attrapa le bus et le porta à son oeil gauche

Les passagers sautaient par les fenêtres puisque les portes par sécurité leurs restaient fermées

Le chauffeur criait -Le diplodocus est herbivore. Restez calme -Le diplodocus est herbivore

-Prête-nous ton bonnet Comme la fille refusait, le punk, le plus maigre lui arracha et s’en couvrit le crane

L’autre punk, grassouillet, enroula son foulard comme un turban Le diplodocus le regardait avec intérêt

Arrête de bouger, il t’a repéré Les deux punks pacifistes de nature n’en menaient pas large

Et la fille reprit son bonnet et se planqua sous une banquette Le diplodocus laissa tomber le bus et bu

Une énorme flaque d’eau dans lequel il avança et se vit Devant son reflet, il recula se rapprocha recula

Effaré de rencontrer un animal avec une si petite tête et de si grosse pattes

Pendant ce temps, Pookie ne tenait plus en place et commençait à en avoir marre d’être dans le noir

Sa gouvernante américaine le faisait jouer à Simon says pour passer le temps et le rassurer

Deux bus rouges firent un demi-tour voyant le diplodocus boire sur le bord de la route

Deux autres encore Ces demi-tours intempestifs des deux côtés de la route créaient un embouteillage démesuré

D’autant plus qu’il était impossible de faire une sortie de route Les inondations l’en empêchaient

Pookie refusait de jouer à Simon says Il voulait jouer à What’s for dinner? L’état de son humeur s’aggravait

Le diplodocus se trouvait beau Il continuait de fixer la flaque entre chaque gorgée

Pookie se prit une douche, il s’éloigna de l’estomac et se calma No dinner no dinner criait la gouvernante

Épisode 2

L’embouteillage était à son comble et la police n’arrivait pas Certains disaient qu’il n’y en avait plus

Do you like liver? Pookie ne connaissait pas ce mot Elle lui tendit un morceau marron-rouge

Swallow C’est gluant Swallow C’est visqueux Swallow Pookie ferma les yeux et ouvrit la bouche

Je retweete :

2 Dec Natalia@ARRIBASNatalia

En suis-je capable?Vivre sous un seuil d’alerte perpétuel ? Agir ou guetter ? Tuer ou l’être? Prison ou liberté?#AllSinners #Twitterfiction

Retweeted by Chris Simon

Tandis que la gouvernante se tailladait une tranche de foie avec son coupe-ongles porte-clés

Pookie déglutit, tira la langue et fit sa première phrase complète en anglais. This is not veal!

But Pookie what could it be? Trop tard elle avait avalé la tranche et un doute angoissant l’assaillit…

Elle félicita Pookie lui proposant une autre tranche mais il fit la tronche et bouda Le foie verdissait

Pookie, liver makes you speak English! Take more! Whatever liver! Elle était contente de sa trouvaille

Son apprentissage fonctionnait enfin ! 6 mois de babytalks ! Elle entendit une sirène de Police

Et Pookie enchaîna Tududute Tududute à tue-tête dans le ventre du diplodocus Tududute Tududute

Le diplodocus ressentit un malaise, une sorte de nausée spacio-temporel existencialo

Il avait le mal de mer, détourna les yeux de son reflet et tapa de sa queue aux écailles de verre la route

Quel carambolage ! La route ressemblait à une casse quand 150 CRS atterrirent en parachute sur la chaussée

Ils plièrent leur voile distribuèrent des barres en chocolat à petits et grands et approchèrent le monstre

Quand on est herbivore et qu’on a mal au coeur, le chocolat ça peut blesser ou énerver Et ça l’énerva

Il cracha une flamme d’une longueur de 100 mètres et ça réchauffa l’atmosphère

Tout feu tout flamme la gouvernante, Pookie sur les épaules, jaillit de l’estomac

Elle heurta les dents du mastodonte, tomba sur un tapis rugueux et baveux, y roula

Elle fut propulsée, retombant sur le petit pour finir au volant d’une Fiat 500, new look

Les passagers avaient fuit la voiture dont le moteur tournait toujours

Elle poussa Pookie sur le siège passager et accéléra droit devant traversant les flammes

La chaleur intense avait séché les bas côtés de la route et les champs attenants

Intéraction avec  :

2 Dec Natalia@ARRIBASNatalia

@Qrisimon aurais tu pris des champis ? 😮

Chris Simon@Qrisimon

@ARRIBASNatalia Tu n’imagines pas si j’en prenais! ;-O

9:53 AM – 2 Dec 12 ·

Natalia@ARRIBASNatalia

@Qrisimon euh…Je préfère pas l’imaginer non lol

2 Dec Chris Simon@Qrisimon

@ARRIBASNatalia 😉 !

Capturons le monstre hurlaient les CRS fraîchement débarqués

La gouvernante leur fit un sourire et un geste signifiant Good Luck Gentlemen

Pookie brandit le poing par la vitre baissée Hasta la Visa! La 500 longeait des monts étrangement écaillés

Avec son feu, nous sécherons la ville ! répétait le capitaine des CRS, un moustachu Dalinien et dynamique

J’attends les dernières news du soir de Yumington, mais pas de news

Épisode 3

Le mastodonte qui tentait de se débarrasser de son mal, balaya de la queue la 500 qui décolla dans les airs

Vol plané… Pookie et la gouvernante ont la banane. Ils planent puis traversent une baie vitrée

Atterrissent dans un salon bourgeois face à l’écran de télé

Pookie ouvre la portière Une femme de dos dit : Bonne nuit, Stryker ! Two se retourne

Two se précipite dans son salon Voit l’enfant Décidement les enfants aujourd’hui…

La gouvernante américaine reste tête couchée sur le volant Sans vie

Two voit la femme dans la voiture. Morte ? Elle défonce la vitre Hey! Vous m’entendez ?

La gouvernante lève la tête Ça va ? Yes what is your name? Two

I did ask your name! Two ? Two Ce n’est pas un nom, c’est un chiffre

La gouvernante qui n’en était plus à ça près se souvint de son élève, le chercha du regard

2 Dec H_X_Lemonnier@H_X_Lemonnier

#AllSinners #TwitterFiction Ils rigolent. « On dira qu’il était mort « . La portière claque…des flaques… cloaque. Clignote. Crying Raven Bar.

Retweeted by Chris Simon

Where is Pookie ? Il joue sur le tapis dit Two en se servant un whisky je vous en sers un ?

23h35 – FIN

2 DecChris Simon@Qrisimon

@CryingRavenBar je découvre le bar seulement maintenant ! 😉

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Plus d’infos :

 Liste de toutes les histoires des Twitt’actrices et acteurs sur blogs

Le site de AllSinnersSerie

GOINGmobo, the Magazine of the Mobile Bohemian

Chris Simon _ Licence Creative Commons BY-NC

1ère mise en ligne et dernière modification le 6 décembre 2012.

La Bouche : expérience littéraire pour tous

La Bouche : projet littéraire que j’ai lancé en juin dernier. J’avais envie de rencontrer des auteurs et des lecteurs, mais surtout j’avais envie de les rencontrer autrement.

De même que je dédie un espace sur ce blog aux auteurs auto-publiés, de même j’ai envie ici de prendre un peu de temps et d’espace pour remercier tous les internautes curieux qui suivent La bouche depuis six semaines.

La bouche au moment où j’écris ce billet a atteint les 7024 visites. C’est énorme, et je ne pensais pas qu’autant de lecteurs nous suivraient dans cette exploration littéraire. C’est une des plus belles surprises de cet automne. Merci pour ce cadeau !

C’était un pari étrange. Tenter de lancer un cadavre exquis avec des contraintes et une consigne donnée ;  et guider à chaque texte un auteur à la manière d’un territoire guidant un cours d’eau.

La Bouche, collectif et exploration littéraire

Point de départ  : Une auteure arrive dans une ville qu’elle ne connait pas et se rend dans une maison d’édition pour récupérer un manuscrit qu’elle a envoyé, mais voilà le manuscrit rendu n’est pas complet, il manque la couverture… Lire La Bouche 1

Les mots avant d’avoir du sens sont des sons. Notre bouche, aidée d’autres organes, les produit. Comment à partir de ces sons, l’homme en est arrivé aux mots, puis aux phrases et à la littérature ? C’est-à- dire à pousser le langage, dont l’utilisation première semble être née d’une nécessité : communiquer pour trouver son chemin, demander à boire, à manger, à une autre fonction beaucoup plus inutile, mais peut-être tout aussi fondamentale.

La littérature possède-t-elle un organe privilégié comme le chant ? La littérature, définie souvent par référence aux auteurs passés ou présents : Shakespeare, Proust, Céline, Virginia Woolf, Toni Morrison selon les goûts des uns et des autres. La littérature inaccessible ou abordable selon les cultures. La littérature sacrée et immuable.

Pour la première fois, la littérature sort du domaine du papier, comme des siècles plus tôt le langage était sorti des bouches, et entre dans le domaine des mathématiques, du code. Si « l’écriture c’est faire passer de l’invisible au visible. » comme le rappelle Clarisse Herrenschmidt , comment cette alchimie se produit sur nos écrans ?

La bouche, projet balbutiant, n’est pas une tentative de réponse, mais une tentative d’exploration du phénomène numérique, dans lequel chaque auteur utilise son expérience, son imagination et ses compétences. Un projet dans lequel je voulais tester l’écriture, nos capacités à la faire évoluer, auteurs et lecteurs d’aujourd’hui, auteurs et lecteurs d’un jour ou d’une vie, tous témoins de ce passage des mots vers le code.

Que devient la narration ? La synchronicité et la synchronisation du récit ? Le temps et l’espace ?

Participez ! N’hésitez pas à commenter l’expérience, à partager votre lecture de la bouche, c’est une expérience collective qui souhaite mettre  le lecteur au coeur de l’expérience.

Il nous faut ensemble, auteurs et lecteurs réinventer une littérature capable de donner un nouveau sens à ce monde et ne pas uniquement se contenter (même s’il ne faut pas s’en priver) de reproduire ou lire ce que nous savons qui marche et a marché.

Je remercie tous les lecteurs, les auteurs qui ont participé au projet et le site de La Cause Littéraire, qui sur un concept de quelques lignes, a embrassé l’aventure.

“Sévèrement” encouragée par votre intérêt et votre assiduité, je souhaite, bien sûr, renouveler l’expérience pour votre plaisir, celui des auteurs et le mien.

Les bouches déjà en ligne :

La Bouche, collectif et exploration littéraire

La Bouche 9 de Ray Parnac

La Bouche 8 d’Isabelle Sojfer

La Bouche 7 de Maël Guesdon

La Bouche 6 de Gilles Piazo

La Bouche 5 de Marie de Quatrebarbes

La Bouche 4 de Derek Munn

La bouche 3 d’Anita Fernandez

La Bouche 2 d’Isabelle Pariente-Butterlin

La Bouche 1  de Chris Simon

D’autres auteurs  à découvrir dans les semaines à venir…

GOINGmobo, the Magazine of the Mobile Bohemian

Chris Simon _ Licence Creative Commons BY-NC

1ère mise en ligne et dernière modification le 31 octobre 2012.

Cadavres Exquis numériques : Mode d’emploi

La page a déménagé. Pour lire le billet cliquez sur le lien : Cadavres Exquis numériques : Mode d’emploi 

 

 

 

 

GOINGmobo, the magazine of the Mobile Bohemian

 

 

 

Habiter la vitesse du train (La Traversée Littéraire à bord du RER C, 2011), un an déjà !

WRITING IN MOTION click here for English version

HABITER LA VITESSE DU TRAIN  (1ère publication en français)

C’est à travers la revue Belge Diptyque, dans laquelle une de mes nouvelles venait d’être publiée, que j’ai rencontré pour la première fois François Bon. J’étais tombée sur un de ses commentaires sur la revue via Facebook. Comme le commentaire m’avait plu, j’ai cliqué sur son nom et l’ai demandé comme ami. C’était il y a deux ans, son profil Facebook comptabilisait 4235 amis. J’en avais seulement 98. À ma grande surprise, il a accepté.

Ainsi, à partir de juin 2010, j’ai commencé à suivre son activité sur Facebook et fréquenter ses sites : tiersLivres et publie net. François Bon est un pionnier en France du livre numérique avec un catalogue de plus de 300 e-books (plus de 600 en 2012).

En avril 2011, j’ai découvert qu’il organisait un atelier d’écriture singulier, un voyage en RER intitulé, La Traversée Littéraire à bord du RER C. Je lui ai demandé si je pouvais y participer et comment. Il m’a répondu aussitôt qu’il me suffisait d’envoyer une demande par courriel à une adresse SNCF. Deux jours plus tard je recevais une invitation à imprimer.

Invitation pour La traversée Littéraire

Samedi 2 avril 2011. Je me présente à 9h15 au Croque-Mie de la gare RER François Mitterand-Bibliothèque. Mathilde Laurent, la charmante responsable de la ligne C, me tend un carnet de moleskine, un stylo marqué des quatre lettres SNCF, un laisser-passer gratuit bon pour un aller-retour Versailles-Chantier et pour finir un mini pain aux raisins.

Grignotant mon pain aux raisins, je m’avance au comptoir du Croque-Mie et je commande un café. Oh, surprise, il est offert ! Toute cette générosité me met de bonne humeur malgré l’heure matinale.

J’observe mes compagnons de voyage tout en gobelotant mon café. Il y a plus de femmes que d’hommes. Des professeurs, des animateurs d’ateliers d’écriture, des écrivains pour la plupart.

C’est la première fois que je me retrouve dans cette gare. Trois femmes, des professeurs, habituées des ateliers d’écriture d’après leur conversation, saluent François Bon comme un vieux compagnon de route. François Bon est petit, plutôt rond, un visage lunaire qui s’illumine souvent d’un sourire gracieux et généreux sous des cheveux blancs dont les boucles semblent partir dans des directions opposées. Sa voix est douce comme celle d’un pédagogue. Son attitude montre une certaine bonté ; il porte bien son nom.

Un pigeon atterrit près de nous. Il lui manque trois doigts à la patte gauche. Je lui lance ma dernière bouchée de pain aux raisins. Il se jette dessus en boitant et la dévore. Je me décide à en demander un second et l’égrène pour le pigeon. Ne connaissant personne et ne me sentant ni l’énergie ni l’envie de me présenter aux autres (je ne suis pas du matin), je nourris le pigeon handicapé, observe mon entourage et enregistre sons, odeurs, mouvements et bribes de conversations.

Trois minis pains aux raisins plus tard, François Bon nous demande de former un cercle autour de lui et nous révèle les tenants et les aboutissants de cet atelier singulier.

Il nous présente le directeur de la ligne RER C, Pierre Cunéo, l’homme en jean est à l’origine du projet. Il a sollicité François Bon ainsi que Didier Michel de l’association S-Cube (plateau de Saclay) pour créer un projet d’écriture sur sa ligne. François Bon enchaîne, nous donne quelques clés : observer le monde par les fenêtres du 1er étage du premier wagon du RER C, qui a pour départ la station François-Mitterrand et pour terminus la gare Versailles-Chantiee. Inspiré par Espèces d’Espaces de Georges Perrec publié en 1973, François suggère les mots : habiter, emménager, l’Inhabitable, Écrire, ou une structure de phrase telle : que + Infinitif ou encore tenter de dresser une liste sur le thème de la ville aussi simplement que si on établissait une liste de courses.

RER C workshop in pictures/ l’atelier en images : click

C’est le départ ! Nous passons les tourniquets, montons sur la plateforme de la ligne C. Certains participants prennent des photos, d’autres gazouillent (twittent) ou facebouquent (facebookent) l’événement de leur smartphone. Je reste les mains dans les poches, concentrée et marche en tête du train. Ça me fait tout drôle de voyager en groupe. La dernière fois que ça m’est arrivée, j’avais 13 ans. J’allais en camp de marche, faire à pied la route des vignes en Alsace.

RER C workshop in pictures/ l’atelier en images Click

Le train entre en gare et nous montons tous au deuxième étage de la rame. Je m’assois sur le premier siège libre que je vois à ma droite, dans le sens de la marche. Je trouve l’assise raide et inconfortable. Comme la plupart des Parisiens, je ne prends jamais le RER sauf pour aller à l’aéroport. Une des participantes, la cinquantaine, s’assoie en face de moi. Toutes deux nous nous regardons, stylo et calepin en mains, prêtes. Il règne une atmosphère dissipée de départ en colonie de vacances- ceux qui n’ont pas encore trouvé un siège, ceux qui bavardent excités ou anxieux, les photographes vont et viennent dans l’allée cherchant un angle de vue sur l’intérieur ou l’extérieur ou un truc à prendre au vol… Le train démarre. Un à un, les regards se tournent sur le paysage qui doucement devient mobile.

Je regarde dehors, mais mon regard s’arrête sur la vitre, je contemple un moment le reflet de la main de ma voisine posée sur son calepin… J’écris : miroir de l’écriture

Le train maintenant traverse la périphérie industrielle, no man’s land de graffitis qui s’étend de la sortie de la gare au commencement de la banlieue.

Vitry-sur-Seine

attendre

attendre qu’une image se forme

attendre qu’un être humain surgisse

Un homme sorti de nulle part tend un micro et me demande ce que je viens d’écrire. J’énonce dans le micro les deux dernières phrases et me replonge aussi vite dans le paysage qui défile.

François Bon passe dans le couloir et s’exclame : « Vous pouvez travailler sur un détail comme les fenêtres. Est-ce que quelqu’un veut travailler sur les fenêtres ? »

François Bon, click

J’y songe, mais les fenêtres me semblent trop petites, vues de mon siège, et pas assez nombreuses. L’urbanisation du sud de la banlieue parisienne consiste en maisons individuelles et jardins privés plutôt qu’en cages à lapins empilées les unes sur les autres.

Nous passons la gare de Choisy-le-Roi et une décision s’impose à moi : suivre la vitesse du train. Pas de place pour l’écrit propret, l’arrangement des mots. Ce n’est pas un concours de fleuristes ou d’amateurs de nénuphars, mais un voyage pour attraper quelque chose, vue du train qui soit vrai. Une ambiance, un état, une vision qui ne peuvent être captés que de là où je me trouve, à la fois assise et en mouvement. Cette révélation me plonge dans une autre dimension.

butterfly trees bordent les rails

autour de pavillons les petits jardins fleurissent

arbres

rangées d’arbres bien alignés

des pelouses qui séparent des usines

un pommier devant un mur en meulière

vert, vert, vert, marron marron, vert, vert, vert, marron

À partir de la station Villeneuve-le-Roi, Habiter devient mon leitmotiv et je me vois engloutie dans un état émotionnel qui se révèle sur la page comme si la vitesse du train devenait la vitesse de mes artères, de ma pensée. Je ne suis plus dans le train, mais avec le train. Carcasses de camion, bureaux vides, grues, Matériaux de construction, ciment, haies sauvages, une femme, deux hommes, un enfant de deux ans et un Labrador retiennent mon attention.

Il m’apparaît soudain que ce vaste espace fragmenté, qui défile, est un endroit à vivre, à faire ses courses, à se coucher, à dormir, à se réveiller. La dimension humaine du lieu me rive à ma page. La nécessité pour l’être humain de trouver un toit, un lieu de vie est un incontournable de sa condition d’être humain.

Habiter

faire sa cabane

planter un clou dans le mur

accrocher son manteau

flotter avec les canards du lac

personne aux balcons, des barres de fenêtres, aux parkings complets

Habiter

planter sa parabole

être avec le monde chez soi

Le leitmotiv habiter s’impose un choix d’une évidence troublante. J’habite à Paris depuis deux ans et quatre déménagements. Je comprends soudain que le thème de cet atelier d’écriture est pour moi, non pas, un thème, mais une réalité. Je le vis depuis mon arrivée. Je viens tout juste d’emménager dans un nouvel appartement dans lequel je ne me sens pas encore tout à fait chez moi. Déjà un peu là, mais pas encore tout à fait ici.

Habiter

Construire, élever, faire des fondations, terrasser, planifier, urbaniser, architecturer, structurer, tracer, organiser, implanter, habitacle, conception, ergonomie

Ne pas oublier la nature

Ne pas oublier la nature humaine

terrain de tennis

J’écris et me sens en phase dans ce RER, oubliant complètement les autres participants, attrapant, ici et là, bribes et fragments dans le paysage toujours changeant.

Habiter

jouer à la vie

être propriétaire

pavillons

jardins

meubles

terrasses coquettes

se lever

prendre un café sur sa terrasse

au soleil

organiser sa journée

la méditer

caméra cachée

sécurité

vert, vert, vert, marron marron, vert, vert, vert, marron et bleu

Quand le train entre dans sa gare terminus : Versailles-Chantier, ma main s’arrête sur mon dernier mot : arrêter. Je ressens une grande joie et une immense fatigue. Je ferme mon cahier et descends du train le coeur léger.

RER C, Versailles-Chantier click

Sur le quai, la gare se découpe sur un ciel bleu vif, le soleil matinal nous chauffe les omoplates et brille sur nos vêtements, des oiseaux chantent, et chacun de nous se sent un peu plus pionnier, un peu plus écrivain qu’avant le départ. J’engage la conversation avec un homme d’une vingtaine d’année, auteur timide et qui manque encore d’assurance. François vient à notre rencontre, nous interroge. Nous nous présentons. Je lui dis que je suis nouvelliste et scénariste. Il me demande si j’ai un blog. Je réponds que non, je n’en ai pas.

Le train repart en direction de Paris. Chacun est remonté dans le wagon détendu et plus dissipé qu’à l’aller. Certains participants lisent ce qu’ils ont écrit. Vient mon tour et ça démarre mal ! Je lis deux phrases et réalise pour la première fois que si je peux écrire sans lunettes, je ne peux plus me relire sans. Complètement intimidée devant le wagon plein et dans l’incapacité de déchiffrer mes pages, je balbutie et panique. François s’empare de mon cahier et lit mon texte. Sauvée ! Je suis là, à côté de mes mots, je découvre mon texte en même temps que les autres participants, c’est un choc électrique. Je prends conscience de mon voyage.

François Bon reading/lisant

Habiter

son corps

son âme

occuper l’espace entre les pensées

arriver

trouver

être chez soi enfin

découvrir

tous les possibles

recommencer

un amas de caisses de bois et de cartons dans une benne

des camions et des générateurs

des draps qui sèchent

arriver, poser son bagage

faire son lit

sous le pommier fleuri en face de la gare Versailles-Chantier

pour repartir

un jour

jamais

peut-être

arriver

Ce retour vers Paris, à échanger nos textes, à découvrir ce que les autres ont vu du train, avec quels mots et quelles images ils l’ont exprimé, m’a ouvert de nouvelles voix, de nouvelles façons d’appréhender et d’expérimenter l’écriture. Je suis repartie de cet atelier avec une telle énergie que quelques jours plus tard, j’ouvrai un blog sur lequel je publiais ce compte rendu. Blog qui six mois plus tard a évolué sur WordPress.

Des fragments de textes des participants de l’atelier ont été diffusés sur les plateformes de la ligne RER C et la totalité des textes, publiés sur tierslivre.net en 2011 et les blogs :  Ce qui s’est réellement passé dans le RER C de François Bon, On vit quelque part de Pierre Ménard, Ligne C de Nicolas Bleusher, RER C d’Anne Savelli, Géolocalisation des tweets écrits lors du trajet dans le RER C par Sylvie Tissot, Pas présente à l’atelier d’écriture #RER C 1 samedi 2 avril de Maryse Hache, le diaporama sonore et la galerie de portraits de Louise Imagine, Habiter le verbe partir de Christophe Grossi et Impressions RER C de Pierre Cohen-Hadria. Il y a sans doute d’autres créations mises en ligne sur des blogs et sites, notamment la vidéo de Jérôme Wurtz.

Textes © Chris Simon Photos © Louise.imagine

Références :

Pour en savoir plus sur François Bon et ses ateliers d’écriture en ligne : www.tierslivre.net

Pour acheter et lire les livres des éditions numériques de François Bon : www.publie.net

Pour contacter la responsable communication de la ligne RER C, Mathilde Laurent: Mathilde.LAURENT@sncf.fr

Pour voir l’atelier en images par Louise-imagine : http://www.flickr.com/photos/louiseimagine/5584800681/in/set-72157626293950893/

Plus d’info sur l’atelier du RER C : http://www.tierslivre.net/spip/spip.php?article2471