C’est dingue, aberrant et une violation de la loi de la part de l’état Français. Une loi votée le 21 mars 2013 et intitulée ReLIRE (Registre des livres indisponibles en réédition électronique), très bien expliquée dans le billet de S.I.Lex. Ce Registre est une liste de 60 000 livres indisponibles (avec des erreurs) et oblige les auteurs de ces indisponibles à se manifester dans les six mois c’est-à-dire avant le 21 septembre 2013, faute de quoi leurs livres indisponibles seront exploités d’office par un tiers. Le registre est géré par la BNF.
Si vous connaissez des auteurs, des ayants droits, même d’un seul livre, faites circuler l’information en les renvoyant sur les sites de références en fin de ce billet.
Il est impératif que les auteurs soient informés, se mobilisent et trouvent des solutions individuelles et collectives. Il y en a. Lisez l’excellent billet de François Bon et rejoignez le site de lesindisponibles.fr, une coopérative qui se propose de numériser les indisponibles sur la demande des auteurs pour que ceux-ci gardent la gestion de leurs oeuvres et reçoivent donc la rémunération qui découlerait d’une exploitation numérique. En effet, d’après le Registre l’auteur a jusqu’au 21 septembre 2013 pour prouver qu’il est l’auteur du(des) titre(s) qu’il réclame et deux ans pour l’exploiter, spécifie ce même Registre, faute de quoi les oeuvres réclamées retomberaient automatiquement dans ReLire.
La vraie solution contre une telle spoliation est de prendre en charge l’exploitation de vos oeuvres indisponibles. Des auteurs se sont déjà lancés tels que Florian Rochat, Serge Brussolo ou Gilbert Gallerne qui déclare dans un entretien sur Ecran Total :
Il va falloir faire un tri dans tout cela, et je pense que cela passera par une prise de conscience des auteurs reconnus qui disposent de titres oubliés. Je pense notamment à tous ces auteurs du Fleuve Noir, à tous ces gens qui fournissaient les collections policières ou de science-fiction dans les années 1970 à 1990 et dont la plupart des ouvrages sont aujourd’hui introuvables. On commence à voir cela aux États-Unis, et dans une moindre mesure en France, où l’on a encore quelques années de retard, mais cela va venir. Que des gens comme Brussolo commencent à y venir est un très bon signe.
Gilbert Gallerne réedite ses indisponibles sur Kindle
Faites comme ces auteurs. Défendez vos droits en mettant les mains dans le cambouis et ne laissez pas une loi vous voler des années de travail et de dévouement. Vous pouvez les rejoindre en exploitant vous-mêmes vos oeuvres sur les plateformes numériques comme Amazon, Kobo et iBookStore, ou contacter la coopérative lesindisponibles.fr, rejoindre Le droit du serf, collectif de réflexion et d’action qui propose de lutter contre cette loi et trouver de l’aide pour l’auto-publication auprès de ce blog.
Si vous avez des questions n’hésitez pas à me contacter. Si vous connaissez d’autres organismes en mesure d’aider les auteurs d’oeuvres indisponibles, intervenez dans les commentaires.
Bilan 2012 : manque d’infrastructure pour faire émerger les ebooks de qualité
Livre numérique dans une liseuse
Suite à un article de l’auteure anglaise Suw Charman-Anderson parut dans Forbes Magazine, j’ai soudain compris que ma rubrique Pourquoi en numérique ? était une réponse (à très petite échelle et petits moyens) au manque cruel de structures et de venues pour la diffusion et la promotion des contenus numériques (notamment le récent marché des ebooks). En effet, chaque pays possède des infrastructures qui permettent aux livres et aux auteurs d’émerger du chaos et de la diversité d’un marché du livre donné. En France, il sort chaque automne plus de 600 livres (événement appelé la rentrée littéraire, événement qui fascine et amuse tout à la fois les critiques littéraires des quotidiens urbains et magazines littéraires aux États-Unis). L’article de Suw Charman-Anderson relate la publication d’une excellente critique dans le New York Times par le critique littéraire Michiko Kakutani d’un livre auto-publié “The Revolution Was Televised” d’Alan Sepinwall et développe l’idée que le phénomène reste rare dû en partie au système du milieu littéraire américain. Au Royaume-Uni et aux États-Unis, l’éditeur de même que les agents littéraires font office de filtre pour les critiques littéraires, car ce sont eux qui préconisent la lecture des nouveautés aux critiques en qui ils font confiance. Il y a trop de livres pour le nombre de critiques et donc l’écrémage en amont est essentiel. Qu’en est-il dans le numérique ?
Ebook auto-édité et dans les 10 meilleurs livres 2012 (NYTimes)
Il n’y a pas d’écrémage. Un critique ne se sent pas à l’aise à être en contact direct avec un auteur. C’est compréhensible. Des intermédiaires sont donc nécessaires. Or dans le numérique, tout étant nouveau, il n’y a ni intermédiaire, ni infrastructure. Comment des journalistes habitués à recevoir des maisons d’éditions, des attachés de presse, des rédacteurs en chef les livres à lire et recommandables pourraient soudainement se jeter corps et âmes dans la jungle d’une industrie naissante : le numérique ? Bien souvent ils n’ont jamais entendu parler de la maison d’édition ou de l’auteur qui proposent un nouveau livre.
En France ou le système même de la société est plus hiérarchique qu’aux États-Unis, les critiques littéraires sont souvent des directeurs littéraires de maisons d’éditions (lire le billet édifiant de Laurent Margantin, Le système Gallimard : Un palmarès des critiques littéraires au service d’un éditeur), et les libraires, qui existent encore viennent ajouter un écrémage supplémentaire. Au final un nombre très limité de livres atteint une visibilité.
De plus, la plupart des blogueuses/blogueurs littéraires se contentent de lire exclusivement les livres papier des plus grosses maisons d’éditions. Une poignée de ces blogues s’aventure hors des sentiers battus et dans cette poignée deux ou trois accepteront de lire un livre numérique.
La plupart des clubs de lecture se contentent aussi de distribuer et faire lire les livres des grandes maisons d’éditions dont les plus grosses ventes sont des livres papiers, pas des livres numériques.
De fait, les maisons d’éditions numériques les « pure players » comme les auto-édités se retrouvent à faire de l’auto-promotion à travers leurs blogues, dailynews en ligne et newsletters… L’auto-promotion est donc inévitable tant qu’il n’y aura pas les infrastructures nécessaires à la promotion de ce nouveau marché qu’est le livre numérique. En attendant de nombreux livres ne sont pas lus, pas remarqués et c’est regrettable car ils représentent une énorme somme de travail et de créativité de la part des auteurs et des « Pure players ».
Art
Depuis Marcel Duchamp les artistes savent qu’ils peuvent faire de l’art avec tout matériaux. Les auteurs, eux, se servent toujours des mots, uniques matériaux d’écriture. Ce qui a changé grâce au numérique depuis quelques années, c’est qu’ils peuvent écrire ces mots partout.
Paris 9e
Des murs des villes au papier des cahiers, les mots sont venus sur les écrans des villes, des habitats, sur les blogues, les sites, les ebooks… Les mots voyagent transitent, passent d’un support à l’autre, d’un lecteur à l’autre à la vitesse du numérique et non plus à la vitesse de l’imprimerie.
Le temps réel n’est pas le temps de l’imprimerie.
La légende de Little Eagle
Pour un nouveau monde, créons une nouvelle infrastructure, ensemble réfléchissons à des nouveaux modes de communication. Après tout, nous sommes auteurs, c’est-à-dire des créateurs.
Dès 2013, Le baiser de la mouche proposera une nouvelle rubrique : Entretiens croisés, en cours d’élaboration avec l’auteur Laurent Bettoni. Nous publierons bientôt le premier entretien à la fois sur son blogue Écran Total et sur le mien.
Solution pour 2013 : Auteurs et “Pure Players”créez ou/et continuez de créer vos propres outils de communication.
Quatrième volet d’un état des lieux et analyse de la situation et de la condition de l’auteur, de ses difficultés et de son devenir. Lire le volet 1,volet 2, volet 3
Tuyaux pour les auto-publiés et les éditeurs “pure-players” dans les billets Pourquoi en numérique ? Vous trouverez des ressources pour créer et promouvoir vos ebooks.
GOINGmobo, the magazine of the Mobile Bohemian
Chris Simon _ Licence Creative Commons BY-NC
1ère mise en ligne et dernière modification le 27 décembre 2012.
À force de surfer, googoliser, bookmarker, butiner d’une lecture l’autre, d’un réseau l’autre en français, j’ai repéré un nombre de mots et d’expressions bizarres que je me suis amusée à déchiffrer, répertorier et classifier. Un nouveau vocabulaire, de nouvelles expressions se mettent en place sans que personne ne semble s’étonner.
Qu’est-ce qu’un clavier cannibale ? Un bouquinovore ? Un poème sale ? Un digiborigène ? Un analogos ?
Les claviers cliquettent en continu… Créateurs d’éditions numériques, de sites, twitteuses et twitteurs, blogueuses et blogueurs inventent un nouveau vocabulaire pour habiter un nouvel espace et vivre un monde nouveau.
Le Bouquinovore
Les maisons d’éditions numériques contrairement à celles papier qui avaient une forte tendance à s’appeler par le nom de leur créateur : Gallimard, P.O.L, Flammarion… affichent des noms variés : Emue, Numeriklivres, ONLIT, publie.net, EdiCool…
Adjectif pour les éditions Emue, mais sans accent sur le premier E ce qui me fait penser à emu (prononcé imou) nom anglais d’émeu, un animal australien.
Pronom + verbe pour ONLIT (On lit) qui flirte avec l’anglais, car on peut penser à on (sur) et Lit abréviation de Literature en anglais, mais aussi participe passé du verbe to light (allumer).
Collage de mots pour Numeriklivres (numérique et livre) avec un changement d’orthographe sur le premier mot pour faire plus court.
Verbe conjugué pour publie.net tourné en adresse web ; et presque mot-valise pour EdiCool (mot édition tronqué auquel s’ajoute l’adjectif entier cool)
Les sites eux, affichent des locutions: Reflets du temps, La Cause littéraire ou encore le Tiers livre qui joue sur une expression préexistante : Tiers monde. Monde a été remplacé par livre, causant ainsi une familiarité et une référence cachée, pourtant évidente dans l’esprit de l’internaute.
Certains blogs pratiquent aussi la référence cachée :
auxbordsdesmondes d’Isabelle Pariente B. occupe avec « des mondes » nombreuses autres possibilités : des larmes, du lit, de l’eau… Dans le même esprit le blog : Au-delà du lac
Comme on fait son terrier, l’auteur Gilles Piazo a remplacé terrier par lit, cependant la locution en cache une autre, un proverbe : « Comme on fait son lit, on se couche » qui fait écho dans la tête du l’internaute lisant : Comme on fait son terrier. Il y a donc ici deux niveaux de référence cachée.
Le Digiborigène Nookeff va plus loin assumant que le lecteur connaît bien la question de référence et appelle son blog, Keff que tu racontes ?, remplaçant « qu’est-ce » par son prénom Keff.
D’autres introduisent le langage sms dans le titre de leur blog ainsi le blog QuandLM pour Quand elle aime et le portail pédagogique en multimédia IdMuse pour idée Muse.
Le site Culturewok va chercher côté cuisine et anglicisme pour parler littérature dans son bookwok. Le wok représentant l’ustensile de cuisine dans lequel tout se cuit laissant entendre que tout se lit chez Bookwok.
On trouve aussi des associations de mots inattendues, incongrues : Le clavier cannibale, blog de Madman Claro, poème sale blog de poésie ouvert et expérimental, face-écran de Daniel Bourrion. Deux de ces associations traduisent l’installation durable de la technologie dans notre quotidien.
Du latin même avec curiosa & caetera de l’auteur et éditeur Éric Poindron
Et pour finir mes préférés :
Les mots-valises, the portmanteau-words cher à Lewis Carroll ou du moins qui s’en rapprochent dans la démarche et la forme.
Ceci n’est pas un mot
Mot-valise ? Qu’est-ce que c’est ?
Ce sont des mots composés par télescopage qui regroupent la tête d’un mot et la queue d’un autre. L’amalgame se fait sur la base d’une homophonie partielle.
Exemple : calfeutrer, altération de calfater et feutre (à noter que ce mot-valise est entré dans le dictionnaire depuis longtemps)
You see it’s like a portmanteau—there are two meanings packed up into one word.’ …
Lewis Carroll
Les mots- valises ou approchant que j’ai glanés :
Numéritérature : altération de numérique et littérature, avec homophonie sur la voyelle i. Un t de littérature a sauté.
ActuaLitté : altération d’actualité et de littéraire, ici on garde exceptionnellement les deux têtes des mots avec une longue homophonie sur Litté. On admet la faute d’orthographe sur le mot actualité pour signifier que le site parle bien de l’actualité de la littérature !
Numéritératue 3.0 Magazine
Le bouquinovore : bouquin + vore. Pas parfait comme mot-valise mais joli mot, on retrouve bouquin en entier et vore, altération d’un mot comme carnivore ? Omnivore ?
Bouquineo (blog de la librairie du même nom) : bouquin + néo, pas parfait non plus comme mot-valise mais l’attache se fait sur une lettre commune le n.
Et le blog S.I. Lex au nom le plus mystérieux de tous au delà du premier sens visible est resté une énigme. Pourquoi ces lettres séparées par des points, ces majuscules et ces minuscules ? Quels mots représentent-ils ? J’ai envoyé un courriel à son auteur, Calimaq et voici ce qu’il a répondu :
S. I. Lex veut dire S=Sciences, I=Informations et Lex=droit. . Cela renvoyait à mon projet initial d’écrire Au croisement des sciences de l’information et du droit, ainsi qu’à mon statut particulier, car je suis à la fois (et autant l’un que l’autre juriste et bibliothécaire).
Mes recherches se sont limitées au domaine que je fréquente le plus, littérature et numérique.
Vous avez vous aussi peut-être accompli votre exploration lexicale et glaner mots-valises, associations, juxtaposition de mots, jeux de mots, expressions et locutions aux références cachées, implicites, etc,etc,etc. N’hésitez pas à les partager, échanger et compléter ma liste.
GOINGmobo, the magazine of the Mobile Bohemian
Chris Simon _ Licence Creative Commons BY-NC
1ère mise en ligne et dernière modification le 28 juin 2012.
HABITER LA VITESSE DU TRAIN (1ère publication en français)
C’est à travers la revue Belge Diptyque, dans laquelle une de mes nouvelles venait d’être publiée, que j’ai rencontré pour la première fois François Bon. J’étais tombée sur un de ses commentaires sur la revue via Facebook. Comme le commentaire m’avait plu, j’ai cliqué sur son nom et l’ai demandé comme ami. C’était il y a deux ans, son profil Facebook comptabilisait 4235 amis. J’en avais seulement 98. À ma grande surprise, il a accepté.
Ainsi, à partir de juin 2010, j’ai commencé à suivre son activité sur Facebook et fréquenter ses sites : tiersLivres et publie net. François Bon est un pionnier en France du livre numérique avec un catalogue de plus de 300 e-books (plus de 600 en 2012).
En avril 2011, j’ai découvert qu’il organisait un atelier d’écriture singulier, un voyage en RER intitulé, La Traversée Littéraire à bord du RER C. Je lui ai demandé si je pouvais y participer et comment. Il m’a répondu aussitôt qu’il me suffisait d’envoyer une demande par courriel à une adresse SNCF. Deux jours plus tard je recevais une invitation à imprimer.
Invitation pour La traversée Littéraire
Samedi 2 avril 2011. Je me présente à 9h15 au Croque-Mie de la gare RER François Mitterand-Bibliothèque. Mathilde Laurent, la charmante responsable de la ligne C, me tend un carnet de moleskine, un stylo marqué des quatre lettres SNCF, un laisser-passer gratuit bon pour un aller-retour Versailles-Chantier et pour finir un mini pain aux raisins.
Grignotant mon pain aux raisins, je m’avance au comptoir du Croque-Mie et je commande un café. Oh, surprise, il est offert ! Toute cette générosité me met de bonne humeur malgré l’heure matinale.
J’observe mes compagnons de voyage tout en gobelotant mon café. Il y a plus de femmes que d’hommes. Des professeurs, des animateurs d’ateliers d’écriture, des écrivains pour la plupart.
C’est la première fois que je me retrouve dans cette gare. Trois femmes, des professeurs, habituées des ateliers d’écriture d’après leur conversation, saluent François Bon comme un vieux compagnon de route. François Bon est petit, plutôt rond, un visage lunaire qui s’illumine souvent d’un sourire gracieux et généreux sous des cheveux blancs dont les boucles semblent partir dans des directions opposées. Sa voix est douce comme celle d’un pédagogue. Son attitude montre une certaine bonté ; il porte bien son nom.
Un pigeon atterrit près de nous. Il lui manque trois doigts à la patte gauche. Je lui lance ma dernière bouchée de pain aux raisins. Il se jette dessus en boitant et la dévore. Je me décide à en demander un second et l’égrène pour le pigeon. Ne connaissant personne et ne me sentant ni l’énergie ni l’envie de me présenter aux autres (je ne suis pas du matin), je nourris le pigeon handicapé, observe mon entourage et enregistre sons, odeurs, mouvements et bribes de conversations.
Trois minis pains aux raisins plus tard, François Bon nous demande de former un cercle autour de lui et nous révèle les tenants et les aboutissants de cet atelier singulier.
Il nous présente le directeur de la ligne RER C, Pierre Cunéo, l’homme en jean est à l’origine du projet. Il a sollicité François Bon ainsi que Didier Michel de l’association S-Cube (plateau de Saclay) pour créer un projet d’écriture sur sa ligne. François Bon enchaîne, nous donne quelques clés : observer le monde par les fenêtres du 1er étage du premier wagon du RER C, qui a pour départ la station François-Mitterrand et pour terminus la gare Versailles-Chantiee. Inspiré par Espèces d’Espaces de Georges Perrec publié en 1973, François suggère les mots : habiter, emménager, l’Inhabitable, Écrire, ou une structure de phrase telle : que + Infinitif ou encore tenter de dresser une liste sur le thème de la ville aussi simplement que si on établissait une liste de courses.
RER C workshop in pictures/ l’atelier en images : click
C’est le départ ! Nous passons les tourniquets, montons sur la plateforme de la ligne C. Certains participants prennent des photos, d’autres gazouillent (twittent) ou facebouquent (facebookent) l’événement de leur smartphone. Je reste les mains dans les poches, concentrée et marche en tête du train. Ça me fait tout drôle de voyager en groupe. La dernière fois que ça m’est arrivée, j’avais 13 ans. J’allais en camp de marche, faire à pied la route des vignes en Alsace.
RER C workshop in pictures/ l’atelier en images Click
Le train entre en gare et nous montons tous au deuxième étage de la rame. Je m’assois sur le premier siège libre que je vois à ma droite, dans le sens de la marche. Je trouve l’assise raide et inconfortable. Comme la plupart des Parisiens, je ne prends jamais le RER sauf pour aller à l’aéroport. Une des participantes, la cinquantaine, s’assoie en face de moi. Toutes deux nous nous regardons, stylo et calepin en mains, prêtes. Il règne une atmosphère dissipée de départ en colonie de vacances- ceux qui n’ont pas encore trouvé un siège, ceux qui bavardent excités ou anxieux, les photographes vont et viennent dans l’allée cherchant un angle de vue sur l’intérieur ou l’extérieur ou un truc à prendre au vol… Le train démarre. Un à un, les regards se tournent sur le paysage qui doucement devient mobile.
Je regarde dehors, mais mon regard s’arrête sur la vitre, je contemple un moment le reflet de la main de ma voisine posée sur son calepin… J’écris : miroir de l’écriture
Le train maintenant traverse la périphérie industrielle, no man’s land de graffitis qui s’étend de la sortie de la gare au commencement de la banlieue.
Vitry-sur-Seine
attendre
attendre qu’une image se forme
attendre qu’un être humain surgisse
Un homme sorti de nulle part tend un micro et me demande ce que je viens d’écrire. J’énonce dans le micro les deux dernières phrases et me replonge aussi vite dans le paysage qui défile.
François Bon passe dans le couloir et s’exclame : « Vous pouvez travailler sur un détail comme les fenêtres. Est-ce que quelqu’un veut travailler sur les fenêtres ? »
François Bon, click
J’y songe, mais les fenêtres me semblent trop petites, vues de mon siège, et pas assez nombreuses. L’urbanisation du sud de la banlieue parisienne consiste en maisons individuelles et jardins privés plutôt qu’en cages à lapins empilées les unes sur les autres.
Nous passons la gare de Choisy-le-Roi et une décision s’impose à moi : suivre la vitesse du train. Pas de place pour l’écrit propret, l’arrangement des mots. Ce n’est pas un concours de fleuristes ou d’amateurs de nénuphars, mais un voyage pour attraper quelque chose, vue du train qui soit vrai. Une ambiance, un état, une vision qui ne peuvent être captés que de là où je me trouve, à la fois assise et en mouvement. Cette révélation me plonge dans une autre dimension.
butterfly trees bordent les rails
autour de pavillons les petits jardins fleurissent
À partir de la station Villeneuve-le-Roi, Habiter devient mon leitmotiv et je me vois engloutie dans un état émotionnel qui se révèle sur la page comme si la vitesse du train devenait la vitesse de mes artères, de ma pensée. Je ne suis plus dans le train, mais avec le train. Carcasses de camion, bureaux vides, grues, Matériaux de construction, ciment, haies sauvages, une femme, deux hommes, un enfant de deux ans et un Labrador retiennent mon attention.
Il m’apparaît soudain que ce vaste espace fragmenté, qui défile, est un endroit à vivre, à faire ses courses, à se coucher, à dormir, à se réveiller. La dimension humaine du lieu me rive à ma page. La nécessité pour l’être humain de trouver un toit, un lieu de vie est un incontournable de sa condition d’être humain.
Habiter
faire sa cabane
planter un clou dans le mur
accrocher son manteau
flotter avec les canards du lac
personne aux balcons, des barres de fenêtres, aux parkings complets
Habiter
planter sa parabole
être avec le monde chez soi
Le leitmotiv habiter s’impose un choix d’une évidence troublante. J’habite à Paris depuis deux ans et quatre déménagements. Je comprends soudain que le thème de cet atelier d’écriture est pour moi, non pas, un thème, mais une réalité. Je le vis depuis mon arrivée. Je viens tout juste d’emménager dans un nouvel appartement dans lequel je ne me sens pas encore tout à fait chez moi. Déjà un peu là, mais pas encore tout à fait ici.
Habiter
Construire, élever, faire des fondations, terrasser, planifier, urbaniser, architecturer, structurer, tracer, organiser, implanter, habitacle, conception, ergonomie
Ne pas oublier la nature
Ne pas oublier la nature humaine
terrain de tennis
J’écris et me sens en phase dans ce RER, oubliant complètement les autres participants, attrapant, ici et là, bribes et fragments dans le paysage toujours changeant.
Quand le train entre dans sa gare terminus : Versailles-Chantier, ma main s’arrête sur mon dernier mot : arrêter. Je ressens une grande joie et une immense fatigue. Je ferme mon cahier et descends du train le coeur léger.
RER C, Versailles-Chantier click
Sur le quai, la gare se découpe sur un ciel bleu vif, le soleil matinal nous chauffe les omoplates et brille sur nos vêtements, des oiseaux chantent, et chacun de nous se sent un peu plus pionnier, un peu plus écrivain qu’avant le départ. J’engage la conversation avec un homme d’une vingtaine d’année, auteur timide et qui manque encore d’assurance. François vient à notre rencontre, nous interroge. Nous nous présentons. Je lui dis que je suis nouvelliste et scénariste. Il me demande si j’ai un blog. Je réponds que non, je n’en ai pas.
Le train repart en direction de Paris. Chacun est remonté dans le wagon détendu et plus dissipé qu’à l’aller. Certains participants lisent ce qu’ils ont écrit. Vient mon tour et ça démarre mal ! Je lis deux phrases et réalise pour la première fois que si je peux écrire sans lunettes, je ne peux plus me relire sans. Complètement intimidée devant le wagon plein et dans l’incapacité de déchiffrer mes pages, je balbutie et panique. François s’empare de mon cahier et lit mon texte. Sauvée ! Je suis là, à côté de mes mots, je découvre mon texte en même temps que les autres participants, c’est un choc électrique. Je prends conscience de mon voyage.
François Bon reading/lisant
Habiter
son corps
son âme
occuper l’espace entre les pensées
arriver
trouver
être chez soi enfin
découvrir
tous les possibles
recommencer
un amas de caisses de bois et de cartons dans une benne
des camions et des générateurs
des draps qui sèchent
arriver, poser son bagage
faire son lit
sous le pommier fleuri en face de la gare Versailles-Chantier
pour repartir
un jour
jamais
peut-être
arriver
Ce retour vers Paris, à échanger nos textes, à découvrir ce que les autres ont vu du train, avec quels mots et quelles images ils l’ont exprimé, m’a ouvert de nouvelles voix, de nouvelles façons d’appréhender et d’expérimenter l’écriture. Je suis repartie de cet atelier avec une telle énergie que quelques jours plus tard, j’ouvrai un blog sur lequel je publiais ce compte rendu. Blog qui six mois plus tard a évolué sur WordPress.